Egypte : Lettre de Leila Soueif, 9 novembre 2011
Moi, Leila Soueif, mère d’Alaa Ahmed Seif el-Islam Abdel-Fattah, mis en détention préventive le 30 octobre 2011 sur ordre du Parquet militaire dans le cadre de l’enquête menée sur les événements du 09 octobre 2011, connus sous le nom d’événements « de Maspero », déclare avoir entamé une grève de la faim le 06 novembre 2011 au matin, à savoir le premier jour de l’Aïd el-kebir.
J’ai pris cette décision après avoir acquis la certitude que cette détention préventive vise à punir arbitrairement mon fils pour ses positions et ses activités politiques, à la façon dont la Sûreté de l’Etat traitait les opposants à Hosni Moubarak avant sa destitution, à la seule différence qu’aujourd’hui, c’est le Parquet militaire qui traite ainsi les opposants au Conseil supérieur des forces armées.
Monsieur le général Adel el-Morsi, chef de l’autorité judiciaire militaire, a déclaré à la presse que l’accusé Alaa Ahmed Seif el-Islam Abdel-Fattah n’avait pas été mis en examen en tant qu’activiste, mais en tant qu’accusé, et que sa requête en appel avait été rejetée, en vertu de quoi il était maintenu en détention, pour avoir commis des crimes punis par le Code pénal, à savoir :
- Vol d’armes appartenant aux Forces armées
- Sabotage délibéré de fonds et de biens appartenant aux Forces armées
- Agression d’employés du service public (membres des Forces armées)
- Attroupement et recours à la force et à la violence contre des membres des Forces armées
Dans l’édition du 5 novembre 2011 du journal El-Shourouq, j’ai publié une lettre ouverte dans laquelle je demandais au général El-Morsi et au Parquet militaire comment ils pouvaient soupçonner Alaa d’avoir volé des armes appartenant aux Forces armées sans qu’on n’ait envoyé la police pour l’arrêter et fouiller son domicile pour retrouver ces prétendues armes. La façon dont le Parquet militaire a convoqué Alaa montre bien qu’il ne prend pas au sérieux les accusations portées à son encontre, ce qui n’a pas empêché qu’il ordonne qu’il soit mis en détention préventive, et qu’un tribunal militaire rejette la requête en appel présentée par son avocat et le maintienne en détention.
Les membres du Parquet et du tribunal qui ont étudié sa requête en appel savent qu’Alaa se trouvait à l’étranger quand on l’a convoqué pour enquête, et qu’il en est revenu pour se présenter devant le Parquet avec son avocat au moment convenu. Ils savent donc qu’il n’a pas cherché à s’enfuir. Du reste, ils savent tous que son fils doit naître ce mois-ci et qu’il ne pourrait pas raisonnablement s’éloigner de sa femme et s’enfuir dans un moment comme celui-ci. Malgré cela, le Parquet militaire a ordonné qu’on l’emprisonne et le tribunal militaire a rejeté son appel.
Je refuse que mon fils, comme tout autre civil, soit jugé par la justice militaire, parce que cela est contraire aux règles de la justice telle que la comprend le commun des mortels, même si juridiquement, c’est en conformité avec les lois établies par le pouvoir illégitime qui a gouverné notre pays pendant des dizaines d’années.
Je refuse que mon fils, comme tout autre civil, soit jugé par la justice militaire, parce que j’ai pu voir par moi-même comment elle fonctionne concrètement : ainsi Amr el-Beheiri est emprisonné depuis février dernier et la justice militaire l’a condamné à cinq ans de prison ferme, malgré mon témoignage et celui de trois autres personnes attestant de son innocence. Ni l’un ni l’autre n’avons aucun lien antérieur avec lui qui puisse nous motiver à établir de faux témoignages en sa faveur, seulement les témoignages des civils, aussi nombreux soient-ils, ne valent rien aux yeux de la justice militaire s’ils ont le malheur de récuser la version d’un seul militaire.
Je refuse que mon fils, comme tout autre civil, soit jugé par la justice militaire, parce que je me souviens des mascarades de procès qui se tenaient dans les tribunaux militaires contre les Frères musulmans avant la révolution du 25 janvier. Si nous avons tant protesté contre ces procès avant la révolution, comment pouvons-nous les accepter après la révolution ?
Je refuse tout spécialement que le Parquet militaire enquête sur les événements de Maspero, non seulement parce que des éléments de l’armée sont accusés d’y avoir tué des civils désarmés, mais aussi parce que la direction de l’armée, à savoir le Conseil supérieur des forces armées, dont dépend la juridiction militaire, a affiché son parti-pris dans son interprétation officielle de ces événements, niant toute responsabilité des forces armées dans les crimes commis ce jour-là, outre qu’il a permis aux forces armées de nettoyer la scène du crime pendant le couvre-feu, ce qui est une façon flagrante d’entraver le cours de la justice.
Pour toutes ces raisons, je continuerai ma grève de la faim jusqu’à ce que, tôt ou tard, mon fils soit libéré.
Leila Soueif
8 novembre 2011
lsoueif@yahoo.com
Lettre traduite en français par Stéphanie Dujols