Libye : Un Premier ministre, des armes et des «anciens combattants» 01.01.11

Publié le par printempsdespeuples44

Abdel Rahim Al-Kim. C'est le nom de l'universitaire spécialisé en génie électrique qui a été choisi lundi par les membres du Conseil national de transition libyen pour assumer les fonctions de Premier ministre. Il remplace Mahmoud Djibril, qui a démissionné après la «libération totale« de la Libye proclamée le 23 octobre, au lendemain de la chute de Syrte et de la liquidation physique de Mouammar Kadhafi. Mahmoud Djibril était très contesté au sein du CNT et notamment par les islamistes, les plus actifs dans les combats armés contre les loyalistes. Signe qu'il fait preuve d'un certain consensus Abdel Rahim Al-Kim a été élu au premier tour parmi cinq candidats et a recueilli 26 voix sur 51 votants. Il y avait initialement 10 candidats avant que le chiffre ne tombe à cinq à la suite de désistements. Outre Abdel Rahim Al-Kim, les autres candidats étaient Ali Tarhouni, chargé du pétrole et des finances au sein de l'exécutif provisoire, Idriss Abou Fayed, ancien opposant emprisonné sous le régime de Kadhafi, Ali Zidane, représentant du CNT en Europe, et Moustapha Al-Rojbani, un universitaire installé à l'étranger. La feuille de route du nouveau Premier ministre de transition est tracée. Il doit constituer avant le 23 novembre prochain un gouvernement et préparer des élections constituantes dans huit mois et, un an plus tard, organiser des élections générales. Petit symbole, Al Kib a été désigné le jour même où les activités de l'Otan ont officiellement pris fin. Le nouveau chef de gouvernement s'est engagé à «bâtir une nation respectueuse des droits humains, qui n'accepte pas les violations des droits de l'homme». «Mais nous avons besoin de temps», a-t-il précise dans une conférence de presse.        L'un des premiers enjeux est bien de démanteler les milices et de récupérer les armes. Face à ces déjà «anciens combattants », le nouveau Premier ministre fait dans la diplomatie en indiquant que ce démantèlement des milices sera fait avec «respect». «Nous sommes conscients que nos frères, les combattants révolutionnaires, partagent notre opinion. Ils pensent aussi que la stabilité du pays est extrêmement importante.»

L'HYPOTHEQUE SEÏF AL ISLAM

La question des armes et des milices va constituer une urgence immédiate. Il y a beaucoup d'armes et les milices sont organisées par villes, par régions voire par tribus. La lutte, inévitable pour le pouvoir se nourrit aussi de rancœurs diffuses qui risquent d'éclater au grand jour maintenant que «l'unificateur» par la haine qu'était Kadhafi n'est plus là. Entre les gens de Benghazi qui se voient comme les «initiateurs» et ceux de Misrata, auréolé d'une résistance farouche de 4 mois aux forces loyalistes, la confiance ne règne pas. D'autres prétendants à l'auréole révolutionnaire sont également présents avec les rebelles de Zentan et les Berbères du djebel Nefoussa, dans l'ouest. Ce qui rend les choses compliquées est que les arsenaux ont été pillés et que chacun s'est constitué son stock en prévision des «explications» pour le pouvoir. La tâche est ardue. D'autant que va commencer, sans aucun doute, une sorte d'inventaire des parcours des membres du CNT. Le président du CNT Mustapha Abdeljalil, par exemple, a longtemps été ministre de la Justice et il passait pour être un proche de Seif-Al-Islam… Lequel se trouve dans la nature et négocierait avec la CPI… Une perspective gênante. Si le fils de Kadhafi arrive vivant à la Haye, il pourrait causer de nombreux dégâts par le «nouveau» personnel de la nouvelle Libye tout comme d'ailleurs chez les ex-amis de Kadhafi. L'insistance du CNT à juger Seïf-Al-Islam en «Libye d'abord» n'a rien d'un geste souverainiste. Le fils du «guide» était un acteur central dans les tractations avec les Occidentaux durant le processus de «normalisation» de la situation de la Libye sur la scène internationale. Il était de ce fait aux premières loges et on peut penser qu'il a conservé de la «documentation» sulfureuse. C'est d'ailleurs ce qui fait pronostiquer qu'il est déjà un homme mort.

 

Abdel Rahim al-Kib, nouvel homme fort de Libye

 

L'universitaire Abdel Rahim al-Kib a été élu lundi soir Premier ministre du gouvernement de transition en Libye.

M. Kib, originaire de Tripoli, a été élu au premier tour parmi cinq candidats après avoir recueilli 26 voix sur 51 votants du Conseil national de transition (CNT), selon un journaliste de l'AFP sur place. Le chef de l'exécutif précédent, Mahmoud Jibril, n'avait pas souhaité se présenter.

 

Lors de sa première conférence de presse, M. Kib a dit vouloir "bâtir une nation qui respecte les droits humains et qui n'accepte pas les violations des droits de l'Homme". "Mais nous avons besoin de temps", a-t-il dit, s'exprimant en anglais. Il a également rendu hommage aux combattants "révolutionnaires" ayant libéré le pays du joug de Mouammar Kadhafi, ajoutant que le démantèlement des milices armées serait traité "avec respect".

"Ce vote prouve que les Libyens sont capables de construire leur avenir", a souligné, de son côté, le président du CNT, Moustapha Abdeljalil.

Le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini a, pour sa part, souhaité "bon travail" au nouveau Premier ministre "pour mener la nouvelle Libye vers la démocratie et la reprise économique".

Selon la feuille de route annoncée par le CNT, M. Kib doit former un gouvernement intérimaire au plus tard un mois après l'annonce de la libération du pays, dont la proclamation officielle a eu lieu le 23 octobre. Des élections constituantes doivent avoir lieu parallèlement dans un délai de huit mois maximum, suivies d'élections générales un an après au plus tard.

 

 

Abdel Rahim al-Kib est un universitaire ayant effectué une grande partie de sa carrière à l'étranger. Ce spécialiste de l'ingénierie électrique est né en 1950, selon une page Facebook qui lui est consacrée.

 

Diplômé des universités de Tripoli, de Californie du Sud et de Caroline du Nord, il a rejoint en 1985, en tant que professeur assistant en ingénierie électrique, l'université d'Alabama, où il est devenu professeur en 1996. Il a également enseigné à l'université de Tripoli, dans celle de Caroline du Nord et à l'université américaine de Charjah (Emirats arabes unis), où il fut directeur de 1999 à 2001 du département Electricité, électronique et ingénierie informatique.

 

Il a ensuite exercé au Petroleum Institute, un centre de recherches aux Emirats arabes unis, son dernier poste connu.

Auteur de nombreuses publications scientifiques, M. Kib a travaillé comme consultant pour de nombreuses entreprises, notamment américaines, dont la Alabama Power Company. Il a créé en 2005 en Libye sa propre compagnie, la Société internationale pour l'énergie et la technologie.

 

Vue sur une rue en ruine à Syrte, Libye, 21 octobre 2011. REUTERS/Esam Al-Fetori.

 

BENGHAZI, Libye. De jeunes hommes vêtus de treillis et armés de fusils traînent autour des bureaux du Conseil National de Transition et font le V de la victoire aux visiteurs. À l’intérieur, des hommes en vestes de cuir, plus âgés, boivent du thé sur des canapés, tandis que des employés par intérim gèrent les rendez-vous qui se chevauchent et font des allées et venues dans les couloirs. C’est exactement comme cela que l’on imagine l’ambiance de l’Institut Smolny, le QG de Lénine à Saint Petersburg en 1917: amateur, enthousiaste, désorganisé, parcouru de rumeurs et un tantinet paranoïaque, le tout simultanément. Quoiqu’à Smolny, il n’y ait pas eu les sonneries de téléphones portables pour ajouter à la cacophonie ambiante.

Un désert

Au moins, les révolutionnaires russes travaillaient à partir d’une société qui fonctionnait. À l’inverse, feu le dictateur libyen Mouammar Kadhafi a laissé derrière lui un vide sans précédent, et même étrange. La Libye post-révolutionnaire est réellement un désert, pas seulement dans le sens géographique du terme mais également politiquement, économiquement et même psychologiquement.

Pour comparer, reprenons l'exemple des voisins de la Libye qui viennent de sortir de la révolution. L’Égypte possède une économie sophistiquée, une classe moyenne, des investisseurs étrangers et une énorme industrie touristique, sans parler de sa longue histoire d’échanges financiers avec le reste du monde. La Tunisie où la population a un niveau d’éducation élevé et sait bien s’exprimer, a longtemps été exposée aux médias et aux idées politiques de la France. Plus de 90% des Tunisiens ont voté lors des premières élections libres du pays, le 23 octobre Les observateurs étrangers ont déclaré que les élections avaient été parfaitement correctes.

La Libye en revanche ne dispose ni d’une économie élaborée, ni d’une population qui sache bien s’exprimer, ni d’une quelconque expérience politique. Il n’y avait pas de parti politique sous Kadhafi; pas même de faux partis contrôlés par le gouvernement. Il n’y avait pas non plus de médias, ni vraiment d’information fiable. Les journalistes libyens étaient les plus contrôlés du monde arabe, pratiquement personne n’avait d’accès Internet, et il n’y existe aucune tradition de journalisme d’investigation. Pendant ses quarante années de règne, Kadhafi a détruit l’armée, la fonction publique et le système éducatif. Le pays ne produit rien d’autre que du pétrole, dont aucun des profits ne semble avoir bénéficié à personne. Quelque 60% de la population travaillent pour le gouvernement pour des salaires très bas; quelques centaines de dollars par mois. Hormis quelques routes, les infrastructures sont quasiment inexistantes. Il n’y a pratiquement pas de vie sociale non plus, car trop de jeunes gens sont trop pauvres pour se marier. Et quand bien même il y en aurait une, les espaces publics pour en profiter n’existent pas: les plages sous-développées sont jonchées de détritus, et de vieux sacs en plastique dansent au vent au milieu des mauvaises herbes qui ont envahi les parcs municipaux.

Les milices au coeur de la reconstruction?

La nature a horreur du vide et naturellement, en l’absence d’armée, les milices pourraient bien s’engouffrer dans la brèche. Pour le moment, rien moins que 27 d’entre elles, originaires de villes de toute la Libye, se sont installées dans des complexes de Tripoli et ont peint leurs noms à la bombe sur les barricades. Faute d’organe de réglementation, les journaux balbutiants pourraient tomber entre les mains de groupes commerciaux et politiques liés à des intérêts étrangers ou à l’ancien régime. Quand j’ai rencontré le vice-président du Conseil national de transition (CNT), Abdel Hafiz Ghoga, nous avons évoqué un autre scénario «à la russe»: les journaux se lancent dans la plus grande liberté et l’enthousiasme, comme cela a été le cas à Moscou dans les années 1990, mais sont progressivement rachetés par des conglomérats d’entreprises, jusqu’à ce qu’ils finissent par retourner dans le giron du gouvernement. Le même destin pourrait bien menacer les nouveaux partis politiques.

Et pourtant, ce vide inédit de la Libye pourrait bien offrir des opportunités tout aussi inédites. Un journaliste libyen, rédacteur en chef d’un tout nouveau magazine qu’il a personnellement financé et dont il a recruté les bénévoles qui y travaillent, souligne qu’aucun de ses journalistes n’a jamais appris à écrire de la propagande d’État, et que par conséquent tous sont engagés à dire «la vérité». L’économie inexistante et l’absence d’institutions politiques signifient aussi qu’aucun intérêt enraciné ne va s’élever contre le changement, comme cela a été le cas en Égypte. Il n’y a même pas d’islamistes bien organisés, contrairement à la Tunisie.

De l'argent

Cerise sur le gâteau, la Libye possède les plus grandes réserves de pétrole d’Afrique, et (selon celui qui compte), quelque 250 milliards de dollars de réserves de devises. La plus grande partie de l’argent que Kadhafi n’a jamais dépensé au profit de son peuple dort à la banque. En fait, il m’est impossible d’imaginer un groupe de révolutionnaires, à aucun moment de l’histoire, qui se soit retrouvé dans une situation aussi favorable. En général, les révolutions naissent de la faillite nationale. La première tâche du nouveau régime est alors de remplir les coffres de l’État. La deuxième est de détruire les institutions de l’ancien régime. La tâche de la Libye—comment dépenser son argent à bon escient, et comment construire de nouvelles institutions à partir de rien—est à la fois plus facile et plus ardue que celle des autres. Et non, ne comptez pas sur moi pour prédire ce qui va se passer.


Anne Applebaum
Slate.com

Publié dans Libye

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