Retour d'Egypte fin mai 2011

Publié le par printempsdespeuples44

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22/06/2011 09:56

La situation actuelle de l'Égypte (mai-juin 2011)

En 18 jours, le peuple égyptien s'est débarassé d'un dicateur au pouvoir depuis 30 ans. Une telle rapidité s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs :

Premièrement, la période ouverte par la victoire de la révolution tunisienne : tout a commencé en Égypte le 25 janvier, soit 11 jours après la fuite de Ben Ali.

Deuxièmement, comme en Tunisie, la mobilisation fougueuse de la jeunesse et le développement des grèves ouvrières.

Tout cela a poussé l'armée à ne pas tirer sur les manifestants et à destituer Moubarak.

Les militantEs que la délégation de l'Union syndicale Solidaires a rencontréEs fin mai 2011 semblaient considérer que les rapports de forces dans le pays s'étaient globalement maintenus :

  • - Les rassemblements et manifs du vendredi 27 mai (Le Caire, Alexandrie, etc.) ont rassemblé autant de participants qu'en janvier-février.
  • - Des militantEs soumis à des poursuites judiciaires pour avoir critiqué le comportement de l'armée ont été acquittés le 31 mai.
  • - Le processus de mise en place de syndicats indépendants connait une accélération notable.

Mais si le dictateur a été chassé, des éléments essentiels de la dictature sont restés en place :

  • Le pouvoir est exercé par le Conseil supérieur des forces armées, qui a notamment promulgué une loi criminalisant les grèves ;
  • Des militants sont arrêtés et torturés, ou font l'objet de poursuites devant la justice militaire ;
  • La police est réapparue dans les rues, réprimant par exemple une manifestation paysanne début juin ;
  • Des agressions se développent contre des églises chrétiennes coptes, très certainement à l'instigation de salafistes et de membres de l'ancien régime.

Plus inquiétant, les comités populaires apparus lors de la révolution de janvier-février semblent être tombés dans une profonde léthargie.

Les luttes sociales sont limitées et éparpillées.

La jonction reste difficile entre le mouvement ouvrier et le mouvement des jeunes dont certains membres adhèrent au discours des militaires et des libéraux contre la poursuite des mobilisations.

Plus grave, rien ne s'est amélioré dans la vie quotidienne de la population.

Le pouvoir n'est pas avare de proclamations en faveur de la démocratie. En attendant, les lois en vigueur bloquent efficacement la légalisation comme partis des courants politiques ayant joué un rôle moteur dans la révolution : il faut en effet pour qu'un parti soit officiellement reconnu qu'il dépose 5 000 noms chez un notaire et verse une somme importante pour publier une annonce dans de grands quotidiens.

Conséquence, les partis politiques reconnus sont essentiellement ceux de droite, celui mis en place par les Frères musulmans, ainsi que l'ancien parti légal Tagammu (gauche extrêmement modérée).

Les partis pouvant valablement être considérés comme de gauche ont une existence précaire. Ils rassemblent tous ensemble moins d'un millier de membres dans un pays comptant 85 millions d'habitants. Leurs locaux se réduisent à des appartements ou à des locaux associatifs qui servaient de lieux de réunions sous la dictature.

L'ancienne centrale syndicale officielle (ETUF) reste solidement en place et dispose de moyens matériels considérables. Nombre de ses responsables continuent à fournir au patronat et à la police les renseignements leur permettant de réprimer les grévistes ainsi que ceux qui cherchent à créer des syndicats indépendants.

Néanmoins, les mobilisations continuent. De nombreux syndicats indépendants voient le jour, même si leur mise en place est laborieuse.

Les syndicats indépendants recouvrent des réalités très diverses.

  • Certains se limitent à une seule entreprise, d'autres ont un champ plus large.
  • Une minorité d'entre eux font suite à une longue tradition de lutte sous la dictature.
  • Certains syndicats sont lancés sans grand travail préalable par des équipes très réduites souvent liées à un courant politique donné. Ils ont ensuite du mal à s'élargir à d'autres sensibilités que la leur et à acquérir un caractère de masse (voir à ce sujet l'interview de Fatma Ramadan).

Des désaccords existent sur l'avenir de l'ancienne centrale officielle (ETUF) :

Certains, comme le CTUWS, continuent à demander sa dissolution et le reversement de ses avoirs matériels aux nouveaux syndicats, d'autres, se limitent à demander l'égalité de traitement entre les deux centrales syndicales, avec répartition des avoirs de l'ETUF au prorata du nombre de membres de chacune.

Plusieurs types d'évolution semblent possibles :

  • 1.Un redémarrage des luttes et une centralisation de celles-ci. Cette hypothèse ne semble pas la plus probable dans l'immédiat ;
  • 2.Une stabilisation "bourgeoise" avec effacement du Conseil militaire ;
  • 3.Une stabilisation "bourgeoise" avec présence importante de l'armée ;
  • 4.Le maintien des seuls militaires au pouvoir pendant un certain temps.

Beaucoup de choses semblent dépendre de l'attitude des Frères musulmans, la principale force politique du pays.

Si un certain nombre de jeunes Frères musulmans continuent à participer aux mobilisations aux côtés des forces laïques, la direction s'est très clairement rangée du côté du blocage de la révolution : elle soutient actuellement sans équivoque le pouvoir militaire, dénonçant notament les grèves, les revendications ouvrières et les manifestations. En vue des prochaines élections, les Frères musulmans viennent de conclure une alliance avec le Wafd, le parti historique de la bourgeoisie libérale. ■

Publié dans Egypte

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