Le Yémen au bord de la guerre civile ? 26.05.11

Publié le par printempsdespeuples44

 

"La révolution 'pacifique' a viré en petite guerre au Yémen. Maintenant, cela pourrait tourner en une guerre civile totale en une nuit", prédisait mardi 24 mai Nasser Arrabyee journaliste et blogueur yéménite, qui revient en détail sur les incidents ayant conduit à cette escalade.

La situation s'est embrasée lundi, au lendemain du troisième refus consécutif du président Ali Abdallah Saleh de signer une initiative des pays du Conseil de coopération du Golfe pour un transfert du pouvoir. Depuis l'éruption d'affrontements sanglants entre forces gouvernementales et hommes de la plus puissante confédération tribale du Yémen, les Hached que dirige Sadek Al-Ahmar, journalistes et commentateurs blogueurs tentent de prédire l'issue de cette escalade armée.

UN RÉGLEMENT DE COMPTES ?

"C’est avant tout une histoire personnelle que Saleh essaie de régler avec ses principaux ennemis", estime le journaliste basé au Yémen, Benjamin Wiacek, sur le blog collectif La voix du Yémen L'animosité entre le président yéménite et la famille Al-Ahmar remonte en effet à plusieurs années.

Sadek Al-Ahmar était "membre du Congrès populaire général (le parti au pouvoir) et porte-parole du Parlement. Il avait cependant démissionné en mars dernier pour rejoindre la révolution", raconte Benjamin Wiacek. "Son père, le défunt sheikh Abdallah al-Ahmar, fut longtemps un allié précieux du président Saleh avec le parti islamiste Islah. Mais depuis sa mort, en 2007, un autre de ses fils, Hamid, a pris la tête du parti qui est devenu le principal parti d’opposition", poursuit-il.

De son côté, "le milliardaire Hamid Al-Ahmar, qui est accusé d'orchestrer et de financer les protestations anti-Saleh depuis quatre mois, s'est préparé pour la présidence depuis 2006", explique Nasser Arrabyee

Pourtant, poursuit le journaliste yéménité, certains manifestants anti-Saleh ne veulent pas croire à un réglement de compte personnel. "Ce qui arrive est juste une tentative de Saleh pour présenter ce conflit comme un conflit entre lui et la famille Al-Ahmar et non entre lui et le peuple entier", lui a assuré Amin Arrabyee, l'un des coordinateurs du sit-in de l'université de Sanaa.

LA SPIRALE DE LA VIOLENCE

Les chances que ces affrontements restent cantonnés aux deux camps ennemis sont faibles, depuis l'attaque mardi du palais de Sadek Al-Ahmar par les forces du président Saleh. Au moment du bombardement, des centaines de chefs tribaux, dont certains n'appartenaient pas aux Hached, s'y trouvaient pour tenter une médiation. Certains ont trouvé la mort. Cela constitue "une flagrante violation du droit tribal selon lequel les négociateurs doivent être protégés et qu’un cessez-le-feu doit être respecté", précise Benjamin Wiacek.

Dans le Palais de Sadek Al-Ahmar.

"Cet incident isolé est devenu un point de ralliement et a poussé les confédérations tribales des Bakil et des Mourad à se rallier du côté des Al-Ahmar dans le conflit de Sanaa", indique Will, sur le blog du Yemen Peace Project Ceux-ci étaient, comme la plupart de la société yéménite, ralliés à la cause contestataire mais ne pensaient pas devoir intervenir, poursuit-il. 

De son côté, "l'armée séditieuse du général Ali Mohsen n'a pas encore pris parti, mais elle devrait protéger les membres de tribus qui pourraient venir de Khamer, le bastion de la confédération tribale Al-Ahmar [...], au cas où les gardes républicains de Saleh essaieraient de les empêcher d'entrer à Sanaa", estime Nasser Arrabyee

En revanche, "les trois parties ayant des armes, des hommes et de l'argent -le président Saleh, la famille Al-Ahmar et Ali Mohsen Al-Ahmar (le général séditieux et chef de la première division armée)- souffrent tous trois d'un déficit sévère de confiance parmi les manifestants pacifiques de la place du Changement, pris en étau dans ce désordre", analyse le spécialiste du Yémen, Gregory Johnsen, sur son blog Waq Al-Waq

Ces derniers ont décidé de poursuivre leur action indépendamment. "Ils dénoncent fermement la violence de ces derniers jours, et appellent aujourd’hui à une marche de millions de personnes pour renforcer et rappeler le caractère pacifique de leur révolution", indique Benjamin Wiacek.

QUELLE ISSUE ?

L'intuition de Gregory Johnsen "est que M. Saleh envisage de défaire définitivement la famille Al-Ahmar [...], espère maintenir la neutralité d'Ali Mohsen Al-Ahmar, et quand la poussière sera retombée, appeler à de nouvelles élections".

Pour Will, le président Saleh persévère dans sa stratégie de division, au détriment d'une solution de départ négociée qui profiterait à toutes les parties. "Premièrement, il se dit que les tribus et les autres groupes armés vont se mettre les jeunes à dos. Ensuite, ils se retourneront les uns contre les autres. La seule chose qu'il aie à faire est de résister assez longtemps pour en récolter les bénéfices."

Toutefois, poursuit-il, son recours à l'artillerie lourde en dit long sur le peu d'options à sa disposition. "La majeure partie de son armée s'est ralliée à la révolution et certaines des unités qui lui restent sont tactiquement inutiles, précise Will. Les soldats de Saleh ne peuvent pas, ou ne vont pas, imposer le pouvoir du président par la force". Ces derniers sont pour la plupart jeunes et inexpérimentés et réticents à tirer sur les membres des tribus. Par ailleurs, avec une économie en déroute, le président Saleh ne devrait bientôt plus avoir les moyens de les payer ni d'entretenir ses allégeances tribales.

"Les prochains jours seront décisifs quant à l’évolution de la situation. Une guerre tribale semble imminente considérant le nombre des victimes", écrit Benjamin Wiacek. Pour lui, l'étape fatale sera une réponse violente de l’armée dissidente d’Ali Mohsen ou la prise des armes par les manifestants. La guerre civile ne serait alors plus très loin, selon Will, car toutes ces factions armées unies contre un seul ennemi devraient, avec le temps, se retourner les unes contre les autres,.

Si "l'espoir que la révolution demeure pacifique" commence à s'éloigner parmi les manifestants anti-Saleh, à l'instar de la blogueuse Woman from Yemen ceux-ci "n'ont pas rejoint la résistance violente et restent attachés à un changement pacifique""La situation va probablement connaître une escalade mais il reste une petite chance que non", conclut-elle, appelant à une pression internationale.

Publié dans Yémen

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