Entretien avec l’écrivaine algérienne Fadéla M’rabet 15.06.11

Publié le par printempsdespeuples44

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Fadéla M’rabet vient de publier un récit autobiographique, intitulé « Le café de l’Imam » (Ed. Rive neuve). Un récit qui relate ses histoires avec des cafés de différentes villes du monde. D’Alger à Paris, et de Samarkand à Istanbul, dans cet entretien, Fadéla M’rabet évoque le printemps arabe et son point de vue sur le mouvement contestataire en Algérie.

 

Le printemps arabe s’annonce surprenant. Après la Tunisie et l’Egypte, d’autres pays limitrophes font des révolutions contre les pouvoirs mis en place. Surtout au Yémen et en Libye. Pensez-vous que ces mouvements révolutionnaires peuvent mener à l’instauration de la démocratie dans la région arabe ?

C’est trop tôt pour répondre. La démocratie n’est jamais un cadeau que les pouvoirs en place font aux peuples : c’est une conquête, et une conquête du peuple. Cela dit, il n’y a pas de révolution sans projet révolutionnaire, sans avant-garde, sans quelques figures charismatiques. Une révolution ne s’improvise pas, elle ne se limite pas à une révolte anarchique au nom de la liberté, c’est un remaniement total – politique, économique, culturel – de la société. Est-ce cela qui s’amorce en Tunisie, en Egypte ? L’instauration d’un régime démocratique prend du temps, elle peut s’arrêter, reprendre, dévier. Tout jugement définitif, pour l’instant, est impossible.

Exceptionnellement, l’Algérie semble moins intéressée par ce qui se passe dans la région. Le vent de la révolution n’a pas encore soufflé sur le pays. Commentaire ?

Le « vent de la révolution » a soufflé en Algérie en 1988 : on connait le résultat – et les morts par centaines.

Cet échec, dix années de guerre civile et 200.OOO mille morts ont profondément marqué le peuple algérien. Peut-être un jour se soulèvera-t-il, mais dans l’immédiat, il me parait épuisé, loin de toute violence et préoccupé d’abord d’assurer une vie quotidienne particulièrement difficile.

Vous faites partie d’une génération d’intellectuels algériens qui a affiché à la fin des années soixante sa déception après avoir constaté les dérapages de la guerre de libération. D’après vous, pourquoi la révolution du 1er Novembre n’a pas abouti à ses véritables objectifs ?

Ce qui s’est déclenché le 1er novembre 1954 n’était pas une révolution, mais une guerre de libération. Après avoir réglé leurs comptes aux colonialistes, les Algériens ont commencé à régler les leurs. Ce qui a suivi l’indépendance a été d’abord une lutte pour le pouvoir.

Mais en guise d’un projet résolument révolutionnaire, que trouve-t-on ? Du populisme, à l’époque de Ben Bella, et une dictature militaire sous Boumedienne. Le tout, au nom du « socialisme ». Mais un socialisme qui n’était, pour le pouvoir, qu’un prétexte, un opium du peuple qu’on endormait en lui promettant un avenir radieux.

Les populistes et les militaires qui ont confisqué le pouvoir ont tué pour longtemps toute possibilité démocratique.

Fin des années soixante, vous avez été, vous et votre mari, poussés à quitter l’Algérie suite à une pression des responsables du parti unique. Pourquoi ?

Nous n’avons pas été chassés d’Algérie, mais le pouvoir, en nous interdisant de presse écrite et de radio, nous a poussés à partir.

Ce faisant, il nous a permis de continuer ailleurs notre travail d’intellectuels et nous a sauvé la vie : les islamistes, durant la décennie sanglante, ne nous auraient pas épargnés.

Vous vous consacrez, aujourd’hui, principalement à l’écriture. Vous avez longtemps défendu la cause de la femme algérienne. Pensez-vous que le seul obstacle qui empêche la femme algérienne d’aboutir à ses droits est l’article 2 de la constitution qui base toutes les lois de la République sur la Charia ?

Si l’article 2 de la Constitution, en faisant de l’Etat algérien un Etat théocratique, s’oppose en effet à l’égalité des hommes et des femmes, il n’est pas, et de loin, l’obstacle principal. La société algérienne demeure ce qu’elle est depuis des siècles : une société patriarcale, qui fait de l’homme – du père, du mari – le chef de la famille, et donc des femmes.

Lorsqu’on voit à quel point, dans les démocraties occidentales, les femmes sont encore très largement écartées du pouvoir et à quelle profondeur s’enracine, dans la mentalité des hommes, le machisme, on ne peut guère espérer une prochaine libération des Maghrébines du carcan qui les maintient en esclavage depuis des siècles. Ce qui rend d’autant plus nécessaire une lutte de tous les instants, et dans tous les domaines, contre l’impérialisme de leurs « maîtres ».

Propos recueillis par SK

 

       

Publié dans Algérie

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