Tunisie : En attendant la Constituante 08.09.11

Publié le par printempsdespeuples44

Première véritable scrutin libre pour la Tunisie, l'élection de l'Assemblée constituante constitue un véritable tournant démocratique que tout un chacun a intérêt à ce qu'il soit une réussite.

 

Selon Kamel Jendoubi, le président de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), les premiers décomptes des instances régionales donnent 1636 listes électorales candidates pour les élections de la Constituante du 23 octobre prochain.

Pour l’étranger, 48 listes se sont présentées à Paris (circonscription Nord de France) et 27 listes se sont présentées à Marseille (circonscription Sud de la France). Le président de l’ISIE a ajouté que le nombre de candidats s’élève à plus de dix mille candidats, répartis égalitairement entre hommes et femmes, ce qui constitue un premier signal d’une floraison démocratique.

Les premières observations montrent qu’au moins quatre partis disposent de candidats dans toutes les circonscriptions. Il s’agit du Parti démocratique progressiste (PDP), d’Ennahdha, du Pôle démocratique moderniste et du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL). 

C’est dire que les anciens opposants de Ben Ali sont bien implantés. Autre fait notable, des dizaines de partis n’ont pas présenté de listes alors que les listes indépendantes constituent près de 40 % des listes candidates.

 

Le paradoxe est saisissant. Alors que les observateurs s’attendaient à un fort engouement des Tunisiens au lancement du processus d’inscription sur les listes électorales, c’est au prix de campagnes multiples de sensibilisation, doublées d’un étirement des délais, que les nouvelles autorités sont parvenues à décider la moitié du corps électoral. L’enjeu, pourtant, est de taille : il s’agit de voter pour la prochaine Constituante, annoncée comme le premier scrutin transparent du pays.

L’on en était à conjecturer sur les significations de cette attractivité limitée pour les premières élections de l’après-Ben Ali, lorsque le peuple tunisien a démenti son indifférence supputée vis-à-vis de la chose politique, en descendant nombreux dans les rues du centre ville de la capitale Tunis, pour réclamer la démission du premier ministre de transition, Béji caïd Essebsi.

« Le peuple veut le départ du gouvernement », « Indépendance à la justice », « Purge des magistrats et avocats corrompus », « Tunisie libre, les voleurs dehors »…, les slogans n’ont pas manqué le 15 août dernier pour fustiger le gouvernement provisoire, le troisième de l’ère révolutionnaire. Comment interpréter cette attitude du peuple, plus prompt à battre le pavé qu’à s’inscrire sur les listes électorales ? Serait-ce un désaveu du processus électoral, pourtant salué comme étant démocratique avec, notamment, la création d’une instance supérieure indépendante chargée des élections et censée tourner la page des scrutins organisés autrefois par le ministère de l’Intérieur ? Ou, plutôt, d’un désenchantement de nombre de Tunisiens face aux modestes résultats engrangés par le gouvernement de transition, alors que les attentes de la population, tant sur les plans politique qu’économique et social, sont légion ?

Pour le premier ministre Essebsi, son gouvernement serait mal jugé, alors qu’il aurait « fait l’impossible », pour normaliser la situation sécuritaire du pays et empêcher une plus grande récession de l’économie. « Nous avons travaillé dans le cadre d’une feuille de route claire, s’est défendu le chef du gouvernement. Il s’agissait, d’abord, de mettre en place une Assemblée constituante à l’issue d’élections libres, pluralistes et transparentes. Et, parallèlement, de gérer les affaires courantes du pays. Comme il s’agit d’un gouvernement provisoire, notre mandat devait s’achever par ces élections, initialement prévues le 24 juillet. Les grandes réformes, comme celle de la justice, ne faisaient pas partie des missions de ce gouvernement, mais comme le problème s’est posé avec insistance, nous avons décidé d’assumer nos responsabilités dans tout ce qui se passe dans le pays, le bon comme le mauvais, le meilleur comme le pire. » Même au niveau social, où les critiques de son action sont parmi les plus virulentes, Caïd Essebsi s’est félicité, lors d’une intervention devant un parterre d’hommes politiques et de représentants de la société civile, d’avoir donné satisfaction aux revendications des travailleurs. En accord avec la puissante union générale des travailleurs tunisiens, il a décidé d’augmentations salariales, dans un contexte économique difficile.

« Plus que tout, une frange de la population tunisienne ne pardonne pas au gouvernement et à la justice de n’avoir pas lancé immédiatement une chasse aux sorcières implacable contre tous les symboles du régime Ben Ali », souligne Moncef, un jeune leader associatif qui, comme certains de ses camarades, ne comprend pas pourquoi tous les ministres des gouvernements successifs de l’époque Ben Ali ne croupissent pas en prison, ni pour quelle raison des personnalités considérées (à tort ou à raison) par l’opinion comme ayant trempé dans des affaires de malversations ou des crimes de sang seraient encore libres de leurs mouvements.

« Nouvelle révolution », « Peuple tunisien révolte-toi » sont désormais des mots d’ordre mobilisateurs dans une Tunisie où la méfiance règne entre gouvernants et gouvernés, en même temps que se généralise la suspicion entre les chefs des cent partis politiques qui animent l’espace politique national depuis la « révolution du 14-Janvier ». Les actes de violence, les vrais et les faux complots terroristes, l’instabilité en Libye voisine et ses débordements au sud comme sur l’ensemble de l’économie ajoutent au climat lourd que le citoyen vit d’autant plus dramatiquement que les prix des produits de base se sont envolés sur les marchés. La situation du chômage s’est, quant à elle, aggravée : le pays compte officiellement 700 000 chômeurs, qu’il sera impossible à une économie en récession de résorber.

Pour la présidente de la centrale patronale Utica, Ouided Bouchamaoui, « il faut dire la vérité aux gens : 2012 sera encore une année difficile, ce sera même encore plus dur. Il faudra des années pour redresser la situation. Il sera impossible de trouver du travail en cinq ans à 700 000 chômeurs. Les projets d'infrastructure ne se réaliseront pas du jour au lendemain, et les déséquilibres régionaux ne seront pas redressés en quelques semaines ».

« Le temps devrait être à l’union sacrée de tous les Tunisiens, sans exclusive, pour rebâtir un pays libre et sans allégeance à aucune puissance ni entité, relancer l’économie et créer des emplois dont ont besoin les jeunes, qui ont été les déclencheurs et les principaux artisans de la révolution », plaide Chérif, guide touristique, au chômage cette année en raison du peu d’affluence des touristes dans le pays. Pour lui, seuls les auteurs avérés de crimes économiques graves et de crimes de sang devraient être inquiétés, tandis que les personnes non coupables de crimes devraient jouir de tous leurs droits, même si elles ont milité par le passé au Rassemblement constitutionnel démocratique [RCD, de l’ancien président Ben Ali], qui revendiquait plus de 2 millions et demi d’adhérents. « Ni la chasse aux sorcières ni la vengeance ne nous permettront d’avancer, il faut revenir à des comportements plus rationnels », clame-t-il. Mais pour Raouia, ingénieur informaticienne dans une agence conseil à Tunis, c’est d’abord le cadre politique qu’il faut assainir, et tout un système qu’il faut démonter, avant de construire du neuf.

Pour bon nombre de Tunisiens, partagés entre l’impatience de rentrer rapidement dans une ère totalement nouvelle, où aucun militant de l’ancien parti au pouvoir n’aurait la moindre place, et les espérances d’un avenir fait de liberté et de méritocratie, l’attente de la Constituante du 23 octobre est longue. « Tout peut encore arriver d’ici là, vu les haines et les rancœurs accumulées par certaines forces politiques qui ne jouent pas franc jeu et sont prêtes à en découdre tout en tenant officiellement un discours démocratique », pronostique Karim, étudiant à l’université de la Manouba. Le chef du parti Ettakol, une formation du pôle démocratique, regroupement de partis opposés aux formations islamistes, se veut malgré tout optimiste pour la suite. « Aucun retour en arrière n’est possible », aime-t-il à marteler, comme pour conjurer les périls qui menacent à mesure que s’étiole le semblant de légitimité que dégageait encore le nouveau pouvoir transitoire au lendemain de la révolution.

 

Publié dans Tunisie

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